Publié le 12/03/2025 par Thomas Quéguiner
Article Hospimedia
Le référentiel de 2011 étant dépassé et inappliqué, la Société française de médecine d’urgence et Samu-Urgences de France ont conçu un prototype mathématique proposant aux services d’urgences de calibrer leurs effectifs de médecins et d’infirmiers.
L’outil n’en est encore qu’au stade prototypal et n’est certes pas opposable car pas du tout réglementaire mais pour les urgentistes, c’est déjà une lueur d’espoir d’avoir en main un nouvel outil pour convaincre les directions de calibrer au mieux les effectifs de leurs services face au risque médico-légal. Les Dr Dominique Savary et Agnès Ricard-Hibon, pour la Société française de médecine d’urgence (SFMU) et Samu-Urgences de France (SUDF), épaulés par Marc Brunet de la Charie, expert en mouvements d’énergie chez Total après avoir longtemps opéré pour le compte d’EDF, ont conçu un modèle mathématique pour un référentiel des effectifs soignants aux urgences. Présenté le 11 mars à Paris à l’occasion de la journée annuelle de la Fédération des observatoires régionaux des urgences (Fedoru), il fait pleinement écho à la loi publiée fin janvier relative à l’instauration d’un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé (lire notre article).
“La moyenne ne fait pas le dimensionnement”
Le référentiel produit en 2011 par SUDF sur les ressources médicales et non médicales nécessaires au bon fonctionnement des structures d’urgences n’est en effet plus adapté. S’il a le mérite d’exister dans un pays qui n’a que sur le tard accepté le principe d’édicter des ratios soignants qualité, il n’en reste pas moins qu’il reste “discutable” pour certain et souffre en plus d’un “manque de rigueur scientifique“. Basé uniquement sur le nombre de passages aux urgences, il omet de tenir compte de la gravité de l’état de santé des patients. Finalement, il est “peu ou pas utilisé” et nécessiterait en outre d’intégrer les nouvelles organisations apparues ces quinze dernières années pour être véritablement au goût du jour (lire notre article).
Dans l’ensemble, le travail mis en œuvre reprend peu ou prou l’approche entreprise au niveau des Samu sur les ratios en assistants de régulation médicale. Les recommandations sur lesquelles s’est appuyée en 2019 la mission interministérielle Marcus s’appuyaient sur la formule d’Erlang C, du nom du mathématicien danois Agner Krarup Erlang (1878-1929), et reposent précisément sur deux facteurs : le nombre d’opérateurs et l’intensité du trafic. Les travaux actuels de la SFMU et de SUDF s’articulent également autour d’un sacro-saint principe selon lequel “la moyenne ne fait pas le dimensionnement“. Comme l’a rappelé Agnès Ricard-Hibon, “le flux de patients est aléatoire. À certains moments, il est plus faible que la moyenne et à d’autres plus fort. Si on dimensionne les ressources pour faire juste face au flux moyen, on est certain d’être en tension environ la moitié du temps.”
Dans ces conditions, la proposition retenue a été de “calculer le dimensionnement en fixant la probabilité d’être en tension (un jour par mois par exemple, ou autre), c’est-à-dire dans l’incapacité de respecter les temps d’attente maximum de la grille de tri French” (pour french emergency nurses classification in-hospital triage).
Un outil fonctionnel par preuve de concept
À cela se greffe le degré d’occupation du médecin et de l’infirmier pour chacune des six strates de délais de temps par niveau de gravité de la grille French. Cette donnée estimée s’appuie sur la littérature internationale. Elle a ensuite été confrontée à la réalité du terrain, en l’occurrence à celle du CHU d’Angers (Maine-et-Loire) où travaille Dominique Savary. À la clé, il en résulte un premier outil fonctionnel par preuve de concept (en anglais proof of concept) avec l’idée derrière “d’illustrer ce que pourrait être un outil définitif“. Dans le modèle à blanc dévoilé à la Fedoru, il a été décidé de satisfaire la grille French dans 95% du temps, c’est-à-dire de ne tolérer que 5% de dépassement de la fréquence des délais d’attente. Il peut très bien également être envisagé de mentionner un nombre de brancards ou de box là encore selon les types de gravité et les délais d’attente associés.
En tout cas, les urgentistes escomptent bien désormais tester leur modélisation dans différentes structures d’urgences de taille différente, en traitant entre autres la question de l’imputabilité en cas de données manquantes, puis l’évaluer sur des critères qualitatifs. À terme, l’objectif serait de promouvoir cet outil dans le cadre des travaux que va devoir mener la Haute Autorité de santé pour mettre en œuvre la loi sur les ratios soignants qualité, voire de réussir à convaincre la DGOS de la nécessité de faire évoluer son référentiel de moyens. En tout cas à Angers, la réalité a clairement sauté aux yeux : la modélisation n’est pas en adéquation avec la réalité des effectifs observée sur le terrain, si bien que les 5% ne sont pas respectés.
Cette finesse dans l’appropriation de la complexité des organisations des services d’urgences qu’offre ce nouveau modèle mathématique souffre toutefois d’un écueil sur lequel les urgentistes n’ont clairement pas la main : la non-intégration de la grille French dans la version 2 du résumé de passage aux urgences (RPU) utilisée depuis 2013. La version 3 de ces mêmes RPU devrait certes remédier à ce dysfonctionnement mais ces travaux d’actualisation traînent en longueur du côté de la DGOS sans perspective de bouclage à l’horizon.